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Un bio de la première heure

21/02/2020

Portrait D'Avenir

Pascal Doquet a des convictions profondément ancrées, il a pris du temps et des risques pour les mettre à l’épreuve des faits et les résultats sont au rendez-vous.

Bien que pratiquée depuis les années 70, la viticulture biologique est encore confidentielle en Champagne. En 2018, elle concernait 204 domaines et un peu plus de 923 hectares de vigne dont près de la moitié en conversion. Soit 2,9 % des surfaces d’appellation et 3,2 % et des domaines champenois. Mais, elle connaît une très forte progression avec + 29 % en un an et + 600 % en 12 ans.
Militant de la première heure, Pascal Doquet travaille en bio 8,69 ha de vignes, en fermage et en métayage, dont 40 ares en métayage nature, à Vertus (Marne). Mais, le chemin fût long et semé d’embûches avant de pouvoir mettre en pratique ses convictions. Vigneron depuis 1982, il a commercialisé ses premières cuvées bio fin 2014 seulement.
Il lui a d’abord fallu gagner son indépendance et se former. « Je ne pouvais pas faire la révolution en un coup, sans ça les choses auraient été encore plus difficiles à vivre », avoue l’homme de 58 ans.
Après de brèves études – un brevet de technicien agricole et une première année de Sciences Eco à la fac – Pascal revient salarié sur le domaine familial. Il a tout juste 20 ans. Treize ans plus tard, en 1995, son père lui confie la conduite de la vigne et l’élaboration des cuvées. « Je suis tout de suite entré dans les groupes de viticulture raisonnée, pour déjà mettre moins de pesticides ». Il a par exemple appris à accepter un peu de pyrale ou de chenilles mange-bourgeons. « On sait que jusqu’à 10-15 % de pieds touchés, la vigne compense en faisant de plus grosses grappes. Alors pas besoin de traiter quand, au bout du compte, on aura la quantité à la récolte ». Mais, l’enfant du mouvement hippie, comme il se désigne lui-même, se heurte à des parents et un beau-frère, dépendants des produits phytosanitaires. « On désherbait tout, même les fourrières. Cela me semblait déjà complètement incongru mais on ne pouvait pas en discuter ». Petit-à-petit, il fait pourtant évoluer les pratiques. « Mon père a eu beaucoup de mal à comprendre pourquoi on ne traitait plus les cochenilles par exemple alors qu’on était infesté. Aujourd’hui, je ne vois plus ce parasite dans mes vignes ! ».

Un engagement personnel intense
Le retour au travail du sol est complet sur l’intégralité du vignoble en 2001 car les outils nécessaires sont enfin disponibles sur le marché. Par ailleurs, ses parents commencent à transmettre le foncier (avec réserve d’usufruit), ce qui lui permet de mettre de côté ses premières cuvées indemnes de pesticides de synthèse.
Mais les membres de la famille restent co-décisionnaires et après la rupture idéologique, la séparation juridique est inévitable.
Les discussions s’engagent pour scinder l’entreprise familiale, une société anonyme (SA) créée en 1989 avec ses parents, son épouse Laure, ses sœurs et un beau-frère. « Le cabinet d’expertise comptable FCN nous a mis autour de la table, avec l’avocat, le notaire, le banquier… Mes parents avaient déjà vécu une séparation difficile suite au décès du grand-père, ils ne voulaient pas revivre la même chose ». Après deux ans de négociation, en 2004, le partage est effectif.
Dans l’équilibre des donations, Pascal reçoit la société civile du grand-père détentrice des caves. Dans le même temps, il crée une holding qui rachète les bâtiments d’exploitation et les parts de la société familiale détenues par ses sœurs (20 % chacune avant les donations) grâce à un emprunt sur 12 ans. La nouvelle société d’exploitation, lancée avec Laure, sera une SAS (société par action simplifiée).
« J’avais enfin la structure pour approfondir sans contrainte ma volonté d’expérimentation et de recherche des méthodes culturales plus saines et plus respectueuses de chaque terroir », souligne-t-il. Cet engagement personnel se traduit par des heures de travail, la nuit s’il le faut, car les traitements ne sont pas préventifs comme en conventionnel. Difficile dans ces conditions de confier le travail de la vigne aux salariés. Pascal s’est toujours réservé cette tâche, d’autant plus difficile que 60 % de ses vignes sont dans un périmètre de 15 km autour du siège de l’exploitation et le reste à 60 km !

Nouvelle marque, nouveaux clients
Pour pouvoir se consacrer à son « vrai » métier qui est de « faire du vin », Pascal s’entoure de partenaires commerciaux. Ses parents avaient une clientèle essentiellement constituée de particuliers, ceux-là même qui ont accompagné le développement des petits vignerons champenois. Mais ce marché est en baisse de 2 ou 3 % par an. Et quand un professionnel se présentait, avec leur prix « vigneron », ils ne pouvaient pas lui accorder plus de 5 ou 10 % de remise. Le fils adopte donc une toute nouvelle politique pour commercialiser ses 70 000 bouteilles par an. « J’ai fixé le prix que je voulais et ajouté la marge du professionnel. Nous travaillons avec des coefficients de 1,8 entre le prix que l’on veut et le prix public TTC affiché ».
Résultat, Pascal Doquet fait 96 % de son chiffre d’affaires avec les professionnels. Son premier prix public est à 32 € la bouteille, le plus élevé, 69 €. Ce qui le place dans la moyenne des prix des Maisons de champagne.
Les premiers importateurs, Allemand, Américain puis Danois et Espagnol, viennent à lui parce que le domaine familial est référencé depuis les années 90 dans les guides spécialisés. Mais il les garde grâce à sa philosophie : un travail du terroir, plus respectueux de l’environnement et un produit moins sucré, atypique, avec une identité. Les guides aussi sont séduits par son approche et référencent sa nouvelle marque : « Pascal Doquet ». Les deux premiers acheteurs captent à eux seuls quasiment toutes les cuvées mises de côté avant la séparation. Mais elles ne sont pas encore bio. « Quand on entame une conversion en agriculture biologique, explique Pascal, il faut au minimum six ans pour produire un Champagne bio. C’est la 4e vendange après l’engagement en certification qui est certifiée et l’appellation impose deux années, minimum, de vinification ». Pascal engage sa certification en 2007. La récolte 2010 est la première qui a bénéficié du label AB. Les cuvées dans lesquelles elle a été assemblée avec la récolte 2011 ont été commercialisées à partir de la fin de l’année 2014.

La relève assurée
En 2016, les Doquet, via la holding, ont terminé de payer les emprunts contractés en 2004 pour gagner leur indépendance. « On a dit aux enfants : on a fini de travailler pour nous, on commence à travailler pour vous. Donc, qu’est-ce que vous voulez faire ? » Le couple a deux garçons et une fille. Ils leur ont déjà donné 49 % de la structure en nue-propriété. Mais il faut aussi transmettre l’art du métier. L’aîné, Noé (30 ans), a choisi de revenir en juin 2017 avec sa compagne après avoir été informaticiens quelques années. Plus jeunes, les deux autres ne se sont pas encore positionnés.
Cette fois, pas de conflit de génération. « Cela aurait été dommage de revenir en arrière ! » s’exclame Pascal. Résolument tourné vers la recherche de pratiques culturales en harmonie avec la nature et la planète, les techniques et matériels employés sur les vignes du domaine Doquet sont en constante évolution. Mais pas de biodynamie en vue. « L’esprit m’intéresse mais je suis très cartésien ! ». L’heure est à la formation de Noé et à la rénovation des bâtiments qui datent de 1974. « Nous devons améliorer le confort de travail et montrer un domaine à hauteur des vins que l’on prétend produire », affirme Pascal. Et avec une note à la Banque de France de H3+ (côte de crédit très forte), il ne fait aucun doute qu’ils y parviendront.

EN SAVOIR PLUS

Une stabilité économique
C’est la crainte en bio, un moindre rendement… « Nous n’avons pas de sur-rendement comme parfois en conventionnel, rétorque Pascal Doquet. Avec 10 500 kg de moyenne sur 13 ans de certification, nous sommes très proche de la moyenne Champenoise de rendement disponible (10 585 kg/an). » Mais, et c’est une particularité du Champagne, les stocks en cuve assurent une stabilité économique énorme. Avec une année de production conservée en vins clairs en cuves, et en moyenne quatre ans d’élevage en bouteilles en cave, les champenois ont des perspectives à long terme.

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