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Paysans-fonctionnaires

06/07/2023

Portrait D'Avenir

La ferme de la Barbanne à Libourne n’est pas tout à fait comme les autres. Les « agriculteurs » sont salariés de la commune qui s’évertue à préserver des races anciennes et locales, en partenariat avec le conservatoire des races d’Aquitaine.

Perché sur le poteau d’une clôture, un paon au magnifique plumage bleu et vert, nous accueille. Nous ne sommes pas dans un zoo mais bien dans une ferme, dotée d’un numéro de Pacage. « Derrière les animaux, c’est le travail de l’élevage et de reproduction qui est montré. Le matériel, faucheuse, épareuse… est aussi présent et visible », revendique Ange Chaineaud. Titulaire d’un BTA en gestion de la faune sauvage et d’un BTS en production aquacole, ce passionné de nature et d’animaux est responsable du service des espaces naturels de Libourne (33) qui comprend depuis 2011, la ferme de la Barbanne.

A l’origine du projet, l’opportunité pour la municipalité d’acquérir un bâtiment agricole, qui avait perdu depuis les années 90 sa vocation de ferme laitière, et une parcelle attenante au site naturel des Dagueys, classé Natura 2000 en 2015. « Nous avons commencé avec très peu, quelques enclos extérieurs, un hangar ouvert », se souvient Ange. Aujourd’hui, le hangar ferme, une bergerie et des abris accueillent sur 6 hectares, près de 300 animaux et une trentaine d’espèces : moutons et poneys landais, chèvres et âne des Pyrénées ou encore, des poules Gasconnes, « favorites d’Henri IV et toujours très recherchées aujourd’hui par les éleveurs et les particuliers », assure le quadragénaire.
Ce sont autant de races locales « abandonnées » après la seconde guerre mondiale par une France en quête de productivité pour nourrir sa population. Mais ce sont des races résistantes aux maladies et adaptées aux milieux « hostiles » (montagne, landes, palus…), leur patrimoine génétique est donc important.

Education et gestion durable
Ce travail de conservation est mené en partenariat avec le Conservatoire des races d’Aquitaine à qui appartiennent les animaux. La ferme de la Barbanne, qui tire son nom du petit cours d’eau qui la traverse, est une sorte de nurserie où même les races les plus difficiles, comme le dindon noir des Landes, donnent des petits. Le but étant de faire se reproduire ces espèces pour ensuite les amener sur d’autres sites en Aquitaine. Ange et les quatre autres agents municipaux, dont un spécialiste équin, se relaient sur la ferme pour s’occuper des animaux et accueillir le public. Ils réalisent un travail formidable et sont fiers de le présenter dans les foires et concours agricoles auxquels ils participent. Rançon de leur succès, plus de quarante demandes de stage affluent chaque année, notamment des lycées agricoles voisins. Ils en retiennent une quinzaine.

Au-delà de cette mission de conservation, la municipalité y voit deux autres motivations. L’une éducative. « Elle nous permet d’accroître les possibilités de découvertes, d’apprentissages et de loisirs, souligne Régis Grelot, adjoint au Maire en charge des espaces verts et naturels. Elle a même permis d’installer trois poulaillers pédagogiques dans les écoles ». La ferme accueille les scolaires, des médiations animales pour les enfants en situation de handicap comme de simples promeneurs. Au total, 35 000 visiteurs profitent chaque année d’un kilomètre de promenade entre les enclos et le verger (l’été 500-600 pers./jour). Les visites sont libres et gratuites, 7 jours/7, de 9h à 17h ou 19h l’été.
Pour satisfaire tout ce monde, il faut régulièrement accueillir de nouveaux animaux. Ainsi, la municipalité a acheté deux vaches (une Jersiaise et une Dexter), quelques canards, des faisans introduits pour faire le lien avec la zone naturelle voisine et, bientôt, un porc gascon. La ferme récupère aussi les oiseaux abandonnés (perruches…).
La 3e motivation est environnementale. « Ce site nous permet de tendre vers une gestion durable de nos espaces. Les animaux permettent leur nettoyage, le développement d’une flore typique des prairies pâturées et la réduction de la pollution des engins motorisés », relate l’élu. La commune a signé une Charte Natura 2000 avec un cahier des charges qui impose notamment un éco-pâturage : de faible densité et très tardif (juillet-août-début septembre). « Avant, la zone était fauchée mécaniquement. On voit réapparaître petit-à-petit une nouvelle faune et flore », se réjouit Ange qui étudie aussi la possibilité d’un éco-pâturage en ville et dans les vignes.

Un budget à respecter
Rattachés au service des espaces naturels, créé pour remettre en état la zone des Dagueys en compensation des gros travaux de l’autoroute, les cinq agents ont aussi en charge les 200 ha de cette zone Natura 2000 et la gestion des cours d’eau et des espèces invasives (frelons asiatiques et moustiques). Ils sont aussi appelés pour attraper chevreuils et sangliers qui s’éloignent de leur habitat. Enclavée entre l’Isle et la Dordogne, Libourne a une surface également répartie entre zones naturelles, vignes (AOC Pomerol, Saint-Emilion et Grand Cru St Emilion) et urbanisme. Le travail ne manque donc pas !? Attachée à sa ferme, la municipalité y consacre un budget stable d’année en année. Elle investit environ 30 000 €/an en clôtures, abris, etc. et dispose d’un budget de fonctionnement, hors salaires, de 15 000 €/an qui comprend l’alimentation, les frais vétérinaires, les consommables types abreuvoirs, etc. Pour rester dans les clous, Ange doit être imaginatif. Depuis deux ans, ses coûts ont augmenté. Le sac de céréales est passé de 6 à 14 € par exemple. Comme il ne peut pas stocker, il fait davantage pâturer les animaux qu’il nourrit aussi avec le pain ou les grains que les riverains apportent. Il y a quelques années, un potager de 200 m² destiné aux animaux permettait de faire 1 000 € d’économies, mais trop de vols les ont contraints à arrêter. Le foin aussi est une dépense importante. « Il en faut jusqu’à 15 tonnes par an pour une année sèche comme 2022. On va le chercher avec le camion de la ville pour éviter les frais de livraison », explique Ange. L’idéal serait d’avoir un champ à faucher. C’est interdit sur les prairies naturelles. Mais s’il trouve une autre parcelle, il s’est déjà entendu avec le dernier éleveur bovin de la commune, qui pourrait la faucher contre une partie du foin. Mais coincée entre la zone naturelle et la ville, la ferme ne peut s’étendre davantage. Un verger de 15 espèces et 50 arbres (cerisiers, pommiers, pêchers, noyers, noisetiers…) a néanmoins pu être planté l’an dernier. Il servira en partie pour les animaux.
A l’heure de l’agribashing, la ferme de la Barbanne est une formidable vitrine pour l’agriculture. C’était un pari osé pour une municipalité de ville moyenne. Mais un pari gagné au vu de l’attachement des Libournais à leur ferme.


                                                                                                                                                                                                                        Propos recueillis par Olivier Augeraud et Arielle Delest

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