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Le retour du cheval dans les vignes

10/01/2024

Portrait D'Avenir

Depuis 10 ans en Gironde, le cheval travaille à nouveau la vigne. L’effet de mode passé, de plus en plus de vignerons se laissent convaincre. Mais la rentabilité reste encore fragile pour les meneurs de Cheval des Vignes, la plus grosse entreprise de traction animale en France sur les quelque 500 recensées.

Ils naissent noirs, passent au gris puis au pommelé, pour vieillir blanc : les Percherons. C’est sur cette race que Sébastien Bouetz a jeté son dévolu quand il s’est lancé dans la traction animale en 2010. Au départ, il a autofinancé deux chevaux à hauteur de 7000 € et un peu de matériel d’occasion. Il avait déjà le van et le harnachement pour ses chevaux de sport et la pratique du saut d'obstacle.
Rejoint il y a trois ans, par deux de ses enfants, Juliette et Lucas, l’entreprise familiale « Cheval des Vignes » compte aujourd’hui trente chevaux dont seize sont au travail. De mars à novembre, ils décavaillonnent (désherbage mécanique en retirant la terre et l'herbe entre les pieds de vigne), ils chaussent la vigne (désherbage mécanique en repoussant la terre et l'herbe entre les pieds de vigne), ils entretiennent le milieu du rang avec divers outils de labour toujours dans le but d'enfouir l'herbe.
La traction animale est une technique ancestrale, qui incarne le respect des sols, de la vigne et de l'environnement en minimisant notamment le bilan carbone. « Le travail du cheval réduit considérablement le tassement des sols et favorise la biodiversité. La vigne est plus vigoureuse et saine, assure Juliette. C’est un bon complément au tracteur pour certains travaux ». 

Aux petits soins pour les chevaux
L’entreprise familiale a choisi d’élever et de dresser ses chevaux pour en faire de vrais professionnels de la vigne.​​ « Ils sont formés pour s’arrêter dès qu’ils sentent une tension de l’outil pris dans un cep ou une racine. Ils ne pourraient pas faire de débardage car cela implique de répondre à l’ordre inverse ! »
L'élevage de la Borie est en plein essor avec en moyenne trois naissances par an. Les poulains sont pré-débourrés à l’âge de trois ans. A 4 ans, ils font un mi-temps, 4 h deux ou trois fois par semaine (200 h/an). Et à partir de cinq ans, ils pèsent déjà plus de 800 kg et travaillent 4 h, cinq jours par semaine, soit 400 à 430 heures sur l’année. L’équipe de Cheval des Vignes tient un planning très strict des heures effectuées pour ne pas les fatiguer ou en faire travailler un plus que les autres. Elle veille aussi au bien-être de ses grands sportifs : ils voient le maréchal-ferrant toutes les 6 semaines, l’ostéopathe toutes les 10 semaines, sans parler du dentiste ou des séances de shiatsu et d’éthologie.​ « Notre philosophie : prévenir plutôt que guérir, lance Juliette. Ils nous servent toute l'année, tirent des charges, nous leur devons au moins ça. Et le résultat est là : nos chevaux se blessent peu et sont bien dans leur tête. » Cette organisation demande une cavalerie importante. Chaque déplacement dans un château est impressionnant : deux camions aménagés avec tout le matériel de traction, un fourgon et un van peuvent transporter jusqu’à 17 chevaux par jour. « A cinq meneurs formés et expérimentés, il nous faut une demi-journée pour faire un hectare, souligne Juliette. Ce modèle économique nous permet de couvrir beaucoup plus de surfaces ». Aujourd’hui, Cheval des Vignes intervient sur 120 hectares et 48 propriétés en Gironde (Pomerol, Saint-Emilion et ses appellations satellites, Bordeaux, le Médoc...).
S’il y a eu un effet de mode en traction équine, il y a une dizaine d'années, ce n’est plus le cas affirme Juliette. « Au château l’Angelus par exemple, si c’était du marketing, ils nous feraient faire 1 ha et en bord de route. On en fait 5 et leurs vignes les plus vieilles, les jeunes plantes ou les plus précieuses. Un autre grand château comme Canon, on fait 12 hectares ». Pour des questions de rentabilité, Cheval des vignes ne se déplace pas pour moins d’un hectare et conseille au moins trois passages sur une façon. « Nous pouvons intervenir en pompiers une fois mais ensuite, la traction équine doit être de l'entretien », insiste Juliette.

Crise de croissance
Cheval des Vignes tient à être accessible à toutes les propriétés viticoles et ajuste ses prix au maximum. De 65 €/h, ils viennent de passer à 70 €/h. C’est la deuxième hausse en dix ans, pour absorber les augmentations des prix du foin, des aliments donnés en complément et des ferrures notamment.

Au décavaillonnage, là où le cheval a le plus de valeur ajoutée, sur de la vigne à 1,5 m d’intervalles, il faut compter 10 heures de travail par hectare. L’entreprise réalise un chiffre d’affaires de 350 000 € par an mais peine à dégager de la trésorerie. L’activité se fait sur 9 mois de l’année car entre novembre et janvier, la vigne est en repos végétatif. C'est aujourd'hui le gros point noir de la traction équine en viticulture. Pendant les trois mois d’inactivité, il faut continuer à payer les trois salaires, la MSA, l’alimentation et les soins des chevaux… Et 2023 s’annonce encore plus délicate car les fortes pluies ont empêché d’entrer dans la vigne dès le mois d’octobre. En crise de croissance, la jeune entreprise peine à trouver un équilibre mais est « sûre de ses choix ». Trois salariés en CDI, c’est un coût important. Mais des saisonniers, il faut les trouver, qu’ils arrivent à temps pour les débuts des travaux, qu’ils soient expérimentés, etc.

L’autre point noir de la traction équine réside dans le matériel. Après avoir réparé ou adapté de vieux outils trouvés à dans des granges à droite à gauche, la famille Bouetz cherche un partenariat avec un constructeur de matériels agricoles avec lequel elle pourrait imaginer et créer l’outil le plus adapté à la traction équine, avec des matériaux résistants et plus légers que l’acier.

Des projets de développement
Pour tirer un revenu les mois d’hiver, Sébastien, Juliette et Lucas ont passé la certification Qualiopi qui leur permet de proposer des formations, finançables pour les stagiaires par les aides de l’Etat. « Cela marche bien. On est très contents », déclare Juliette. Depuis un an, ils ont lancé deux formules, une en immersion complète individuelle. Elle s’adresse aux gens qui connaissent déjà les chevaux et veulent travailler en traction animale. Et une autre, sur les mois creux, pour une première approche du cheval. Ils ont déjà formé plus de 20 personnes, âgées entre 20 et 35 ans. La prochaine étape pourrait être de proposer de l’équi-coaching pour toucher un public plus large. Le défi est de se faire connaître.
Au-delà d’une rémunération supplémentaire, les formations permettent à la Famille Bouetz de conforter la légitimité de leur métier.
Ils n’ont pas le sentiment de former des concurrents qui d’ailleurs viennent de partout, Bourgogne, Maine-et-Loire, Nord, Belgique, Espagne… Mais plutôt de professionnaliser des intervenants. « Ce sont ceux qui travaillent mal qui font du mal à la profession », relate Juliette. Et puis, il y a de la place pour tout le monde. En France, en 2020, on comptait 2 % de propriétés viticoles qui faisaient appel au cheval !
Sébastien et ses enfants étudient d’autres activités pour les mois d’hiver comme le transport de chevaux. Ils ont le matériel mais doivent se former. Le coût en vaut-il la chandelle ? La famille Bouetz aborde une étape cruciale dans la vie de son entreprise, à travailler avec le Groupe BSF, son cabinet-conseil.

Lucas et Juliette n’étaient pas destinés à reprendre l’activité de leur père. Lui, avait très peur des chevaux enfant. Il s’est lancé dans la restauration. Elle, dans le marketing. Mais l’appel des chevaux a été plus fort. A 21 et 29 ans, ils sont revenus à Puisseguin. Juliette a quitté l’Alsace avec sa famille. Ils sont tous deux salariés, mais pensent à faire le parcours à l’installation pour devenir de véritables chefs d’entreprise agricole. Ils rêvent déjà d’un véritable espace professionnel de travail, des box confortables et fonctionnels, d’une salle et d’un manège pour les formations. Aujourd’hui, les Bouetz exploitent 30 ha, en propriété et en location. Ils commencent aussi à être à l’étroit dans les 400 m² de bâtiments, pour accueillir de nouveaux animaux

Propos recueillis par Arielle Delest

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