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"Regagner la confiance"

29/01/2020

Actus Agricoles

3 Questions à Yann Le Goaster, Directeur de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB)

Taxes « Trump », Brexit, ZNT… les vins de Bordeaux sont pris dans la tourmente, mais les vignerons font leur transition environnementale et espèrent sortir leur épingle du jeu.

Alors que les risques de représailles américaines liées à la taxe sur les Gafa s’éloignent momentanément, le secteur du vin bordelais est-il plus serein ?

Non, car une autre taxe, liée aux aides accordées à Airbus, pénalise durement le secteur depuis le mois d’octobre. Et nous ne voyons aucune amélioration avant les élections présidentielles en fin d’année. Les commandes de vin de Bordeaux ont déjà diminué de 24 % en volume et 46 % en valeur. Les acheteurs sont dans l’attente de l’évolution de cette taxe « carrousel » dont le montant et l’assiette peuvent être revus tous les trois mois. L’échéance arrive le 18 février. Aujourd’hui, elle est de 25 % ad valorem, demain elle pourrait passer à 50 %.

Cette insécurité juridique paralyse le commerce. On est très inquiets. Le marché américain pour les vins de Bordeaux était jusqu’en octobre un marché stable ou en légère croissance à près de 26 millions de cols commercialisés sur une année pour environ 298 millions d’euros de chiffre d’affaires. C’est le second marché à l’exportation pour nos vins en volume.

Les conséquences vont aussi se faire sentir sur l’emploi et les exploitations viticoles vont se fragiliser. Le secteur est pris en otage par un contentieux qui ne le concerne pas mais dont les conséquences peuvent être catastrophiques, d’autant que la France est le seul pays européen touché malgré l’engagement d’autres Etats membres dans le consortium Airbus. Les vins Italiens notamment ne sont pas visés par la taxe. Sur un segment aussi concurrentiel que celui de la vente de vin dans un pays consommateur comme les Etats-Unis, les parts de marché perdues du fait de cette hausse des prix, vont être très difficiles à retrouver.

Le gouvernement nous renvoie vers un assouplissement des dispositifs européens en matière de promotion. Ce n’est pas ce qu’on demande. La promotion, on pourra la faire quand le marché sera reparti. Dans l’immédiat, l’ensemble de la filière viticole française demande la mise en place d’un fonds de compensation doté de 300 millions d’euros afin d’atténuer l’effet des sanctions commerciales sur les entreprises. Il faut un dispositif simple d’utilisation pour les viticulteurs.

Le Brexit prend effet le 31 janvier 2020. Est-ce une autre menace pour les vins de Bordeaux ?

Dans ce cas, on est plutôt dans l’inconfort de l’incertitude. Il va falloir s’adapter à une nouvelle donne d’échanges de biens. Or, nous n’avons encore aucune visibilité à moyen terme sur l’évolution du marché, qui est le troisième en valeur à l’exportation pour Bordeaux, avec 256 millions d’euros en octobre… pas loin des Etats-Unis. Pour l’instant, le volant d’affaires n’est pas arrêté. Il y a toujours des expéditions.

Nous savons qu’à priori, jusque fin 2020 et même plus longtemps nous l’espérons, nous aurons une période transitoire concernant les formalités administratives et douanières. Mais nous ne connaissons pas encore les règles du jeu. La véritable inconnue, c’est après cette transition : comment évolueront ces formalités et quels délais et surcoûts vont-elles engendrer ?

Dès que la situation sera clarifiée, le secteur aura les moyens de rebondir. Et puis, tous les pays européens sont cette fois sur un pied d’égalité. Même si le marché est très concurrentiel, avec une tête de pont pour les vins issus des anciens pays du Commonwealth, nous aurons une carte à jouer dans un contexte en évolution. L’Australie notamment fait face à de graves soucis climatiques qui font qu’une grosse partie de sa récolte va être sans doute impossible à commercialiser car les raisins soumis à la fumée ne peuvent pas être vinifiés.

La réglementation nationale aussi met des bâtons dans les roues des viticulteurs, avec l’arrêté du 27 décembre 2019 imposant des zones de non-traitement (ZNT) aux abords des habitations. Quels sont les enjeux pour votre région ?

Le fait de mettre en place des mesures de protection n’est pas remis en cause. Nous devons répondre aux attentes sociétales. Le problème, ce sont les distances imposées : 20 mètres pour les produits les plus dangereux, 10 mètres pour la majorité des produits et zéro pour les produits de biocontrôle. Nous sommes face à une impasse technique dans la zone des 10 mètres pour la principale maladie de la vigne, le mildiou, qui ne peut être traité qu’avec du cuivre. Cet intrant, utilisé en conventionnel comme en bio, n’est pas un produit de biocontrôle, contrairement à ce que répètent le ministère de l’agriculture et ses conseillers. Quelques 4 000 hectares sont concernés en Bordeaux. Va-t-on devoir les arracher ? Car contre le mildiou, sans cuivre, pas de récolte. Vont-ils devenir des friches ? Nous demandons, avec la fédération nationale de l’agriculture biologique, une dérogation pour pouvoir continuer à utiliser le cuivre le temps de trouver des substances de biocontrôle susceptibles de le remplacer. Mais aujourd’hui, on ne peut pas accepter ces arrachages et mettre en péril des exploitations. D’autant que la pression foncière est très forte. La ligne recule invariablement. Des terres agricoles sont urbanisées et on y ajoute des ZNT. C’est la double peine ! Nous ferons des propositions dans le cadre de la future loi foncière pour que dans le cadre des développements urbains, soient mis en place des espaces de transition arborés d’au moins 10 mètres de large qui valent ZNT. C’est crucial pour notre viticulture en transition.

Souvent critiquée sur les questions environnementales, la filière fait sa mutation au pas de charge. Bordeaux est aujourd’hui la première région viticole en termes de certification HVE avec plus de 500 exploitations concernées selon les chiffres du ministère. Près de 2 200 exploitations sont engagées dans une démarche de certification HVE. Et, la Gironde est passée au premier rang des départements en termes de surfaces en agriculture biologique. La viticulture girondine a pris la mesure des attentes sociétales. C’est très positif, une transition est en marche même si la rigueur de certains cahiers des charges est parfois contestée. Les viticulteurs s’engagent dans une amélioration permanente de leurs pratiques sur l’utilisation des produits phyto bien sûr, mais aussi sur la préservation de la biodiversité, de l’énergie, de l’eau… Cette révolution silencieuse nous permettra de regagner la confiance de certains consommateurs.

Propos recueillis par Arielle Delest

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