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Que valent les exploitations laitières ?

18/03/2019

Actus Agricoles

Avec une installation pour deux à trois départs en retraite et un marché du lait tendu, les cédants doivent apprendre à regarder leur outil de travail à sa valeur de rentabilité et donc à préparer la retraite très en amont de l’échéance.

L’activité bovins lait est une des principales productions animales du Grand Ouest. C’est 42 % des exploitations en Bretagne, 46 % en Pays-de-la-Loire et 56 % en Normandie (sources : réseau Chambres d’Agriculture- 2017). Ces trois régions regroupent près de 190 000 chefs d’exploitation ou co-exploitants (2017) soit presque 40 % du nombre total d’agriculteurs Français. Or, les agriculteurs de plus de 50 ans sont majoritaires : 49 % en Pays-de-la-Loire, 54 % en Bretagne et 58 % en Normandie. Qu’il s’agisse de la Bretagne ou des Pays-de-la-Loire, c’est environ 1 900 départs par an pour 470 à 520 installations aidées. Au niveau national, les installations avec DJA représentent 37 % des installations totales. On peut donc estimer un ratio « d’1 installation pour 2 à 3 départs à la retraite ».

A ce contexte démographique, s’ajoute un marché laitier tendu. L’écart du prix payé du lait par 1 000 litres le plus important sur 13 ans est de 85,09 € / 1000 litres : 297,82 € payé en 2006 contre 382,91 € en 2014 (Cf. graphique ci-dessous). Autrement dit, un agriculteur produisant 520 000 litres de lait par an doit-être en capacité d’absorber un impact prix du lait de 44 250 € (520 000 litres x 85,09 €/1 000 litres = 44 247 €) dans son système d’exploitation en cas de crise forte.

Prévoir une marge de sécurité de 10 à 15 % de l’EBE

Les repreneurs devraient donc regarder de très près les critères technico-économiques retenus pour leur étude d’installation. Celui qui mesure le mieux l’efficacité de l’exploitation est L’excédent brut d’exploitation (EBE). Il sert à payer 3 engagements : Les prélèvements privés de l’exploitant, les annuités professionnelles et les frais financiers court termes liés au système. Il faut aussi intégrer une marge de sécurité pour assurer les aléas. Dans les projets agricoles, cette marge devrait se situer entre 10 et 15 % de l’EBE prévisionnel.

Exemple : Pour une exploitation à 2 UTA avec 520 000 litres de lait, 70 vaches laitières et leur suite et 96 ha de SAU dont 30 ha de cultures de vente, on peut estimer l’EBE à 90 000 € / an.  La marge de sécurité du système devrait atteindre 9 000 € à 13 500 € par an selon le pourcentage retenu. L’idée est que cette marge de sécurité puisse absorber la crise historique la plus sévère sur une longue période. Ainsi, à 13 500 € de marge, l’éleveur peut descendre jusqu’à 124 € d’EBE / 1000 litres sans perturber ses prélèvements, ses annuités et ses frais financiers à court terme. Ceci est de nature à rassurer l’éleveur et son banquier. 

D’octobre 2014 à février 2019, 791 dossiers d’installation avec DJA et avenants de Plans d’Entreprises ont été étudiés en CDOA Installation de la Mayenne (voir tableau ci-dessous). On constate que le niveau d’annuités / EBE moyen des projets des jeunes agriculteurs avec DJA a une légère tendance à se dégrader. En tout état de cause, il est nettement supérieur à 50 %, niveau retenu dans les projets d’accompagnement des repreneurs par Altonéo. Le taux de marge de sécurité se dégrade également, en moyenne de presque 14 % en moins de 2 ans. Quant au nombre de travailleurs (UTA), il reste stable alors que l’EBE explose de presque 16 % en moins de 2 ans. Si on ramène le critère EBE/UTA, il passe de 60 890 € à 70 920 €. Autrement dit, les projets semblent surdimensionnés par rapport à la main d’œuvre disponible.

En Mayenne, des marges de sécurité au plus bas
Evolution de critères d’appréciation des projets d’installation examinés en CDOA de la Mayenne d’octobre 2014 à février 2019

Une baisse des prix compensée par du volume

Comparons maintenant l’évolution du prix du lait par rapport à l’EBE entre 2006 et 2018 (voir graphique). La courbe de prix a tendance à progresser sur 13 ans alors que la courbe tendancielle des EBE descend. En 2006, on note un écart « prix payé lait - EBE » de presque 126 €/1000 l. En 2018, cet écart grimpe à presque 209 €/1000 l. Autrement dit, les exploitants ont perdu en 13 ans un potentiel de 83 € d’EBE/ 1 000 l. Si on raisonne à quantité de lait produite égale sur cette même période, pour un contrat de 520 000 litres, c’est une perte sèche de 43 160 € par an [520 000 litres x (209 € - 126 €)] ! Dans la pratique, les éleveurs ont compensé pour partie cette perte d’EBE par un supplément de volume de production moyen de + 21 500 l/an. Ils sont passés de 281 100 litres en 2006 à 518 378 litres en 2017.

Deux phénomènes expliquent la différence entre le prix payé et l’EBE : des produits en moins et des charges en plus.  L’analyse des statistiques montre de façon surprenante que ce sont les produits en moins qui ont le plus d’impact sur les systèmes laitiers : - 35 €/1000 l en 13 ans. Ce sont d’abord les aides Pac (-20 €/1000 l) et les produits viande issus de l’activité lait (- 15 €/1000 l). Côté charges, ce sont les coûts alimentaires qui ont augmenté le plus (+ 30 €/1000 l). Ces trois éléments expliquent à eux seuls plus de 78 % de cet écart de 83 €/1000 l en 13 ans !

Un écart entre prix du lait et EBE de 83 €/1000 l sur 13 ans

Des cartes rebattues pour cédants et repreneurs

Dans la pratique, ces phénomènes conjugués sont illustrés en CDOA Installation par deux évolutions marquantes : une course au volume avec une main d’œuvre limitée, qui pose et va poser des problèmes de suivi de troupeau et donc peut-être, une moindre efficacité technico-économique à terme. Des impacts sur les prix de reprise aux cédants qui vont diminuer, ceci en lien direct avec les évolutions du marché.

Depuis plus de dix ans, le cabinet Altonéo incite ses clients à anticiper leur départ à la retraite au moins 5-10 voire 15 ans avant la date butoir ! Petit-à-petit, le message passe car les cédants réalisent que la valeur patrimoniale, qu’ils ont toujours eu pour référence, devient inadaptée, trop déconnectée des réalités du marché. Pour s’assurer une bonne retraite sans compter sur la seule vente de l’exploitation, ils doivent apprendre à retirer de l’argent de l’exploitation pour le placer (assurances vie, tontines financières, immobilier…).

De leur côté, face à un prix du lait qui varie au plus fort de 85 €/1000 l sur une longue période, des subventions qui baissent, des charges qui augmentent et à l’incertitude de la Pac post-2020 et du Brexit, les futurs installés n’ont d’autre choix que de retenir des critères technico-économiques en adéquation avec le marché.

De nouveaux dispositifs de transmission et de financements sont à inventer. Il y a fort à parier que cette période de mutation démographique et économique y soit propice.

Pascal Donet, cabinet Altonéo, membre du Groupement AGIRAGRI

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